Tiphaine Populu de la Forge

Et la pluie s’arrête au seuil

FotoMasterclass #7

J’ai choisi cette formation pour apprendre aux côtés de FLORE, Sylvie HUGUES et Adrian CLARET, et trouvé auprès d’eux l’exigence et le professionnalisme que je recherchais, la sensibilité, et la sincérité sans complaisance. Le format long de 8 mois, en groupe, et ponctué par des intervenants du monde de la photographie est idéal. Voir progresser chaque projet fut aussi réjouissant qu’instructif et s’enrichir des remarques constructives faites aux autres photographes participants est une chance incroyable. Les interventions des invités, enrichissantes et stimulantes, m’ont permis de mieux comprendre certains enjeux du monde dans lequel je m’engage. Au cours de cette année anxiogène troublée par la crise sanitaire, créer dans de telles conditions a été un vrai bol d’air. Alors oui, ce parcours est éprouvant : il y eut quelques larmes, des bousculades parfois franches mais toujours très justes, beaucoup d’émotions partagées, une grande bienveillance et une générosité extrême. Tout cela vous amène, de proche en proche, vers un travail abouti.
Sylvie, FLORE et Adrian sont complémentaires et m’ont tous trois permis de consolider ma pratique précisément là où je ressentais des manques. En me témoignant leur confiance, ils m’ont aidée à restaurer un socle et j’en sors grandie. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés.

Tiphaine Populu de la Forge

 « Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu. »
Sylvain TESSON, Dans les forêts de Sibérie

Enfant, je construisais des cabanes. Couverture entre deux portes, bric-à-brac adossé à la grille d’un balcon ou d’un potager, palettes ficelées dans les arbres, ma fièvre bâtisseuse s’étendit bien vite aux refuges pour oiseaux blessés, et à l’adolescence. Les cabanes m’étaient des armures rassurantes, le lieu de ma consolation. Derrière leurs remparts, les pages d’un livre, les framboises chapardées aux voisins, les tomates prélevées au jardin, tout me devenait trésor. Par la construction, si bricole soit-elle, je reprenais le pouvoir. Entre les bras du refuge, si précaire soit-il, je lâchais prise.
Dans la cabane, rien ne peut vous atteindre. Les larmes sèchent, la colère gronde encore, mais plus loin. L’orage s’éloigne et la pluie s’arrête au seuil. Pourtant, l’abri n’est pas totalement étanche. Bien qu’elle devienne plus supportable, la réalité du monde filtre.
À la mi-mars 2020 – alors que notre pays, comme le reste du monde, est en pleine expansion épidémique – le confinement national m’a rappelée au souvenir des cabanes. Face aux gros titres ponctuant le quotidien, n’ayant appris ni à soigner, ni à coudre des masques, j’ai façonné des refuges et choisi de travailler les légumes. Ils gardent en eux la trace lointaine de leur environnement, le coin de verdure. La nourriture – celle auprès de laquelle on se console, celle dont on a peur qu’elle vienne à manquer, enjeu majeur dans l’étude de l’effondrement d’une société d’autant plus palpable en période de crise – est devenue mon matériau de construction. En 1773, lors de son Voyage à l’Isle de France et à l’Isle de Bourbon, « Le don d’une plante utile – parut à Bernardin de Saint Pierre – plus précieux que la découverte d’une mine d’or et un monument plus
durable qu’une pyramide. »
Enfant, je construisais des cabanes, et elles résistent encore.